Deuxième Ligne (Numéro 5)

L’ancien deuxième-ligne Lucien Mias, l’un des héros de la mythique tournée de 1958 en Afrique du Sud, apporte un regard lucide et éclairé sur le rugby moderne.
« Le deuxième-ligne doit être offensif »
« Rien n’est comparable du fait du changement des règles, des équipements. Premier exemple : j’avais des chaussures en cuir qui montaient au dessus des chevilles et quand il pleuvait, elles devenaient de plus en plus lourdes. Nous étions des joueurs ils doivent être des athlètes... Le suivi médical était balbutiant et je sais aujourd’hui que je n’étais pas en forme au mois de mai et juin à cause des pollens qui gênaient ma respiration. En 1950, on demandait aux cinq de devant de gagner le ballon en touche et en mêlée. On leur interdisait presque de jouer au ballon ! C’étaient « les bourriques », les « boeufs », etc. Nous étions encore dans la France rurale et les paysans étaient musclés pour l’épreuve de force et non pour des exercices exigeant de la finesse des gestes manuels. Il y avait même Montferrand, qui jouait avec des avants pourvoyeurs et des demis auteurs de drops. Les ballons s’arrêtaient au demi d’ouverture ! Et c’était efficace.
Au fil des ans, la France a repoussé l’âge de la scolarité, les machines agricoles sont arrivées et les professeurs dans les collèges ont fait de la formation à tous les sports (basket, athlétisme, handball, cross, etc.), ce qui a changé la donne. Progressivement sont apparus des joueurs différents, qui ont repensé le jeu du poste. Certains pouvaient le faire mais ne savaient pas l’expliquer ou n’osaient pas le faire devant l’establishment. Mon tempérament m’a porté à dire que le poste de deuxième-ligne devait être offensif, d’où la proposition de la touche en mouvement et du demi-tour contact pour assurer la continuité du mouvement debout. La grande différence en touche, pour le deuxième-ligne, c’est qu’en 1958 le sauteur, aidé par un partenaire en ligne, provoquait une pénalité. Actuellement, l’ascenseur est autorisé et on a l’impression que le sauteur d’aujourd’hui a un potentiel de saut incroyable par rapport à jadis si on compare des photos !
« Le deuxième ligne est devenu un athlète complet »
La réussite ayant suivi, le rugby français s’est autorisé à explorer toute voie nouvelle dans les années suivantes tant au niveau des avants (modification des appuis des piliers) qu’au niveau des trois-quarts. Nous en somme arrivés au deuxième-ligne ayant un rôle propre (la prise de balles en touche, l’organisation de mauls, la poussée en mêlée, etc.) mais aussi un rôle disons délégué (plaquer, passer, feinter...). Ces deux aspects font qu’il est actuellement un athlète complet. C’était un jeu plein de créatifs (exemple : le demi de mêlée lançait son béret pour leurrer l’adversaire et déboulait tout droit !) et c’est devenu un sport plein d’exigences sportives et extra-sportives. »